Vitamine

Publié le par a-yin

Sawako Yarimizu est collégienne dans un établissement très stricte. Elle sort en ce moment avec un garçon beau et intelligent mais véritable obsédé sexuel dont les hormones bouillonnent. Ainsi, il ne se retient pas et force Sawako à faire l'amour n'importe où (la cage d'escalier de chez elle étant un exemple parmi tant d'autres). Un jour, alors qu'elle fait le ménage dans la réserve, elle est vue par des camarades dans une position plus qu'embarrassante. Ils ont vu son visage mais pas celui du copain. Ainsi, le lendemain, Sawako est traitée de traînée par toute l'école et son copain l'abandonne à son sort peu enviable, par peur d'être lui aussi victime de représailles. Sawako subit alors toutes sortes de traitements cruels de la part de ses camarades de classe hier encore ses amis: elle est devenue ijime.

Avis :

Vitamine est un one-shot de Keiko Suenobu sorti chez Génération Comics (désormais Panini Manga comme dans les autres pays d'Europe). Cette mangaka est connue pour écrire des shôjo ayant pour thème l'ijime. L'ijime est un phénomène de rejet d'un camarade dans une classe, seulement, bien que ce rejet existe aussi dans les établissements français, il est très accentué au Japon. La victime d'ijime est ignorée ou bien subit des traitements vraiment très cruels, la notion de groupe ayant une importance primordiale au pays du soleil levant (la victime n'est pas intégrée c'est donc de sa faute). Même les professeurs font la sourde oreille devant ces actes (qu'ils qualifient de "jeux") et la personne souffre donc seule, face aux parents, élèves, professeurs. Suenobu, peu après Vitamine, a engendré la série Life (une dizaine de volumes il me semble), toujours sur le même sujet (édité en Allemagne par Heyne). Enfin, les manga traitant de l'ijime ne sont pas très nombreux, on peut aussi voir en traitement très psychologique et parfois malsain celui de Naru Taru. En shôjo, il y a en quelque sorte Mars de Fuyumi Soryo, Peach Girl de Miwa Ueda, Magie intérieure! de Saki Hiwatari, Imadoki! de Yuu Watase ou encore Hana Yori Dango de Yoko Kamio.

Une chose fait énormément plaisir à la lecture de ce Vitamine: pour une fois dans un shôjo, l'amour n'est pas l'objectif de l'héroine (et pour ceux qui me citeraient Saiyuki ou d'autres dans le genre, il n'y a pas non plus de beaux garçons poseurs aux corps longilines)! De plus, l'héroine est une jeune fille plutôt banale, elle n'a pas beaucoup de caractère, n'est pas spécialement belle ni laide, n'est ni intelligente ni cruche. Comme toute adolescente de son âge, elle suit ses copines, est influencée par les autres, se laisse faire par son copain et s'inquiète de son image. Si elle travaille si dur, c'est surtout pour ressembler à sa soeur que ses parents montrent en exemple. Il faut reconnaître que les héroines de shôjo sont quand même classables en plusieurs catégories: la cruche mignonne au grand coeur qui finit par toucher tout son entourage (toujours protégée), la jeune fille belle, élégante, classe et sportive qui sait tout faire, la fille timide et complexée, persécutée, sans ami ou encore le garçon manqué au caractère bien trempé ne se laissant pas marcher sur les pieds. Le petit copain de Sawako est plus beau garçon que la moyenne, plus intelligent que la moyenne, c'est un mec populaire mais n'a pas son fan club. Malgré tout, il reste banal car comme tout mec de son âge, c'est un obsédé sexuel, c'est quand même un sacré salaud et surtout il est hyper lâche, laissant tomber sa belle lorsque le moindre problème se présente en n'assumant pas ses responsabilités.

Pas de promesse tenue de la part du petit copain, pas de romance à outrance, personne ne va dire à notre Sawako: "je te protégerai". Sawako se retrouve totalement seule, ce qui est vraiment rare pour une héroine de shôjo. Même la timide et persécutée Kira dans Mars a un ange gardien qui s'appelle Rei, le mec le plus populaire du lycée, pas n'importe qui voyons! Dans Vitamine, Sawako n'a personne pour l'aider, elle a tout le monde contre elle. Sa réaction face à ses camarades est normale, elle est prise au dépourvu, son quotidien s'effondre du jour au lendemain et elle essaie de se débattre sans y arriver, finissant au bord de la crise de nerf. Et pour une fois, ce n'est pas grâce à l'amour, ni à l'amitié, ni parce qu'elle a beaucoup de bonté, ni parce qu'elle touche les coeurs ou encore parce qu'elle a beaucoup de caractère qu'elle peut s'en sortir mais par passion. Encore une chose dont on ne parle pas dans les shôjo car dans un cas habituel, il suffit d'un prince charmant pour délivrer notre chère princesse en détresse (allez voir du côté de Peach Girl avec Momo au début persécutée pour ses airs de bimbo aux cheveux décolorés ou encore du côté de Magie intérieure! de Saki Hiwatari où il est apparemment question d'ijime ou encore Tampopo de Imadoki! qui s'en sort par son courage, sa gaieté et son optimiste gagnant le coeur du "roi" de l'école). Pour s'en sortir, Sawako doit chercher au fond d'elle et se raccrocher à un rêve depuis longtemps oublié.

Thème rare également dans un shôjo, la recherche et les retrouvailles avec soi-même. Il arrive en effet qu'influencé par son entourage, par les exigences d'une société moderne (de consommation, de comparaison et de performance), on s'oublie et on finit par faire comme tout le monde. On étouffe finalement ce que l'on voulait vraiment. C'est ce qui arrive à Sawako et même sans être victime d'ijime, le message est assez universel et compréhensible par toute adolescente. Les études qu'on fait sont-elles ce qu'on veut? On y retrouve un écho dans Paradise Kiss de Ai Yazawa mais je trouve l'univers de ce dernier bien plus édulcoré (hop, en deux temps trois mouvements voilà notre Yukari propulsée dans le monde du mannequinat -__- alors bon génial le message pour les jeunes filles). Ici, on voit bien qu'avant d'en arriver là et de réussir, Sawako en a drôlement bavé, que ce soit en recherchant au fond de soi-même qu'avec les parents. Car les parents, dans ce shôjo, ne sont pas inexistants et sont bel et bien présents. Beaucoup de parents, servent soit d'élément comique, soit de décoration mais là, j'ai trouvé la famille plutôt bien traitée même si l'oeuvre est courte.

Même en sachant qu'on y traite d'ijime, il faut reconnaître que les planches sont plutôt crues. Les épreuves que font subir les élèves à Sawako sont assez sordides autant physiquement que psychologiquement (le coup des préservatifs ou encore les dessins sur le torse de Sawako au feutre). Eprouvant et assez surréaliste au premiers abords mais il semblerait que la mangaka soit une ancienne ijime et a donc choisi de montrer sans compromis le genre de traitements qu'elle a peut-être subi dans sa jeunesse, Vitamine étant en quelque sorte une autobiographie. L'ijime est un sujet tabou de la société japonaise dont on parle trop peu et Keiko Suenobu a décidé d'en parler dans ses manga pour toucher ses lectrices, pour donner une forme de prise de conscience. Keiko Suenobu semble dire aux victimes qu'elles ne sont pas coupables, et pointe du doigt le comportement des autres, de ceux qui ferment les yeux. La victime est complètement seule face à ses camarades d'école, face aux professeurs qui font la sourde oreille (ce n'est qu'un jeu) ou face aux parents qui y voient souvent un signe de faiblesse de la part de leur enfant qui ne sait pas s'intégrer. Dans tous les cas, la faute va à l'ijime. On y voit Sawako qui finit par prendre des médicaments. Celle-ci finit d'ailleurs par se descolariser, phénomène de société au Japon. Keiko Suenobu a donc essayé de raconter avec justesse à quoi peut ressembler le quotidien d'une victime d'ijime.

Néanmoins, une chose frappe le lecteur dans Vitamine. Il y a en effet beaucoup de larmes que ce soit dans la douleur ou dans la joie. Les larmes coulent à flot (mais bien à flot hein) et peuvent repousser les allergiques aux pleurs. Autre chose qui a légèrement déplu, c'est ce happy end assez exagéré et cette transformation de Sawako qui devient confiante et affiche un air rebelle. Pour ma part, je le vois plus comme un message d'espoir pour les lectrices victime d'ijime au Japon, une petite lueur qui leur prouve qu'il y a une possibilité, même minime, de s'en sortir. Keiko Suenobu invite donc ses lectrices à ne pas baisser les bras. Quant aux pleurs, ils sont effectivement éprouvants mais en même temps, il est compréhensible de finir comme ça après avoir subi ce genre de traitements de manière quotidienne. Sans concession, quand l'héroine pleure, elle n'est pas belle, elle a le visage déformé, on n'a pas envie de la serrer dans nos bras, pas de jolie larme qui coule sur les joues, elle souffre, elle craque, parfois aux bords de la folie. D'un point de vue graphique, le dessin est très classique, plutôt fin, me faisant penser au style de Peach Girl en moins élégant et maîtrisé. Les planches sont parfois brouillon (quand il y a du mouvement ou un peu de "vie") mais on évite au moins le côté statique. La couverture est finalement assez peu révélatrice avec Sawako en uniforme qui sourit, rien ne présage ce qui se passe à l'intérieur quand on n'a jamais entendu parler de Keiko Suenobu.

Pour ma part, Vitamine constitue un one-shot très réussi. En temps court, Keiko Suenobu a réussi à nous montrer le quotidien d'une victime d'ijime, à introduire ses personnages, à dénoncer la société qui ferme l'oeil sur ce phénomène, à faire évoluer son héroine et tout cela sans utiliser l'amour. Oui, ça fait du bien, et je sais que je me répète mais c'est tellement rare! De plus, elle a utilisé des personnages aux réactions adolescentes réalistes avec des gens qui se laissent entraîner ne levant jamais le petit doigt, même en sachant que l'injustice est là, par crainte de représailles. J'avais été déçue à la première lecture de Vitamine, obnubilée par les larmes en excès et cette fin trop happy mais j'ai fini par apprécier ce one-shot après une deuxième lecture, où j'ai pu y voir des qualités. Ce qui est regrettable, c'est l'impression de Panini Comics parfois très faible, le cas du volume que j'ai lu où les dessins déjà très fins n'étaient pas toujours visibles. Assez scandaleux surtout que pour un tel format, on doit payer 6,95€.

Merci à Sop

Publié dans Manga & Co

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A
Ayant lu deux tomes de Life mais ne voulant pas en parler dans la note, je voulais juste dire que je préfère Vitamine. Life est plus "fiction" avec des complots et des coups bas de nanas, un mec vraiment vicelard et tout ça. L'héroine se taillade régulièrement les poignets et tout commence avec le concours d'entrée (qui divise les amitiés). Ca reste quand même "hard" par rapport à d'autres shôjo mais bon Vitamine était plus spontané et m'a donc plus plu. Il y a aussi la courte durée, je trouve ca assez "lourd" au bout de quelques volumes, l'histoire de la "victime". Après je voulais dire bravo pour la qualité des bouquins de Heyne je trouve la couv plus solide que d'autres éditeurs et l'effet "eventail" moins facile après lecture.
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